2007 a aussi vu l'arrêt de la carrière d'un très grand joueur du rugby français : à 34 ans, le centre international de Clermont Tony Marsh a fait ses adieux sur une défaite en finale de Top 14.
Il ne parle pas, ou très peu. Timide, pudique, surtout pas hautain ou arrogant. La nuance est d'importance parce que si l'homme s'avère fuyant, il est ainsi, au moins compris. Et ne rend pas amer. Tony Marsh était joueur, alors il jouait. Et n'entretenait pas de rapport vicié dans le système médiatique. On le prend tel qu'il est : taiseux. On ne le surprend pas, l'homme tient à contrôler.
On n'appelle pas Tony Marsh, c'est lui qui vous téléphone. Son numéro de portable est collector, rares sont ceux à le posséder. Et ceux qui l'ont ne trahissent pas : les dix chiffres restent secrets. Marsh, international, tient à sa quiétude. Au moins, à lui, on ne laisse pas des messages sans réponse. La finalité est là même mais cela lui confère une part d'élégance puisqu'il n'a pas le mauvais rôle, celui du malpoli. Marsh, c'est donc la classe. Il n'est pas lumineux mais impose le charisme des durs au mal. Le visage est dur, le front carré, la coupe en brosse et le regard noir. Comme un haka perpetuel. Il y a en contraste le tempo délicat, les paroles à voix basse, l'accent anglais. Il y a toujours le contrôle : les mots ne sont jamais négligés, systématiquement pesés.
Il s'en est allé ainsi. Un départ moins discret que la vie qu'il a voulu vivre. Stade français/Clermont, finale inédite du Top 14 aura été son dernier match. Sa deuxième finale après 1999 (il était blessé en 2001) et sa deuxième défaite. Marsh, né en Nouvelle-Zélande est parti icône : 9 ans de fidélité au maillot jaune et bleu de Clermont qu'il n'aura délaissé que pour celui du XV de France. Neuf ans, c'est long pour une vie qu'il n'aurait jamais du vivre. Flash-back en 1998, il a 26 ans, ronge son frein en NPC avec Canterbury et voit son rêve de All Blacks prendre du plomb dans l'aile. Un contrat de trois ans le lie avec la province néo-zélandaise mais s'il n'est pas sélectionné en Super 12, le contrat vire caduc.
Arrivé en France à 26 ans
Marsh ne s'obstine pas jusqu'à l'outrance. Un agent le contacte avec un mandat pour le faire signer à Clermont et lui se laisse convaincre. Une vie qui s'est jouée à rien. Il le sait : "Je n'étais pas interessé, je ne connaissais rien de Clermont, de la ville. Je pensais aussi rejoindre l'Angleterre". La suite, il ne l'oubliera jamais. "Je me souviens de tout comme si c'était hier. Je suis arrivé à Paris où j'ai passé la journée avant de rejoindre Clermont. J'étais fatigué, j'avais froid, je ne comprenais rien. Vraiment, cela n'a pas été facile, pas même le rugby." Le baptême sportif sera dans la même lignée: un match à l'ancienne avec les Espoirs à Périgueux. "12-12, assure Marsh. Ce fut l'année la plus difficile de ma vie Je ne maîtrisais pas le français, un seul étranger jouait à Clermont le flanker Gareth Allison mais il était rarement dans le groupe ce qui voulait dire que j'étais seul en déplacement.Autant que le premier jour, je me suis demandé ce que faisais là."
La réponse lui sera tout de même vite évidente. Marsh multiplie les cours de français et met moins d'un an a devenir à l'aise. Il s'impose et croit réaliser le rêve de toute une érgion en atteignant la finale du championnat de France en 1999. La sixième finale du club, sera la sixième défaite : comme en 1994, Toulouse fait sa loi. En 2001, c'est blessé en tribune qu'il voit l'histoire se répeter. 2007, le dernier combat n'aura pas permi de réaliser le rêve. A deux reprises, il sera proche de quitter Clermont : une première fois pour repartir en Nouvelle-Zélande où son père est malade, une deuxième fois tenté par un contrat à l'étranger.
Finalement Clermont transformera sa vie. Parce que neuf ans sous un même maillot et trois finales, parce que l'équipe de France . Nous sommes en 2001 et alors que Bernard Laporte arrivé au pouvoir depuis deux ans avait juré qu'il ne prendrait plus de joueurs naturalisés, Marsh le fait mentir. Comme d'autres par la suite (Liebenberg). Face aux Springboks au Stade de France : première sélection, victoire et septicisme zéro. Soyons clair, les Bleus ce n'était pas son rêve. Mais l'homme entier, n'a jamais rien eu du mercenaire. "Jouer avec la France, c'était un honneur et une grande fierté. Mais je ne sais pas si je peux me sentir Français. Je suis né en Nouvelle-Zélande, j'y ai grandi, vécu jusqu'à mes 26 ans. Mes racines sont là-bas. Mon rêve, était là-bas : jouer pour les All Blacks. Quelque part, représenter la France en signifiait la fin. Je me suis posé une seule question : sur ma capacité à honorer ce maillot du XV de France. Oui, je crois que je l'ai honoré." Le Haka laisse place à la Marseillaise. "Je voulais la chanter, j'étais fier de le faire." Il l'apprendra le soir en chambre avec Gérald Merceron.
"Fier" de chanter la Marseillaise
Il la chantera pour gagner le Tournoi des 6 Nations 2002 et jouer une coupe du Monde en Australie qui s'achèvera avec une défaite face à la Nouvelle-Zélande en match pour la troisième place. Des premières retrouvailles avant les dernières, un an plus tard pour sa dernière sélection lors des tests-matchs d'automne au Stade de France. Il n'oubliera jamais malgré la lourde défaite (6-45). "J'ai été ému pendant les hymnes. J'étais heureux. Fier d'être Néo-Zélandais, de jouer contre mes frères et de représenter l'équipe de France. Dans un sens, cela représentait plus de choses pour moi d'évoluer avec les Bleus qu'avec les All Blacks. Parce que je suis venu ici, en France. C'était un aboutissement."
Marsh n'a pourtant pas eu la vie linéaire du golden boy ou une success-story de flambeur. Sa vie aura aussi été à un moment donné, Marsh ou crève. Comme pour insister sur son côté héros exotique-qui-s'est-construit-tout-seul. Un cancer des testicules diagnostiqué en mars 2003 aurait pu le laisser définitivement à 11 sélections... Mais Marsh qui fut aussi opéré d'une double pubalgie en novembre 2002 est revenu de nulle part, juste pour la Coupe du Monde 2003. Chimiothérapie, convalescence : il dit juste qu'il s'agissait de "source de motivation pour revenir au plus haut-niveau". Courageux ? Il ne se veut ni exemplaire, ni rescapé. Cela se laisse deviner sujet tabou, lui dit juste qu'il ne parle pas des mauvais souvenirs.
Marsh a une histoire qui ne peut laisser insensible. L'affectif qu'il dégage s'explique aussi pour cela. A Clermont il s'agit des adieux d'un héros aux neuf saisons, aux titres, aux drames. Un joueur comme un résumé de l'histoire de l'ASM. Il le subodre mais peine à le réaliser. "Je ne sais pas si je suis une icône... J'ai été étonné de mon dernier match face à Albi à Michelin et des émotions que j'ai pu y ressentir. Je ne l'oublierai jamais. C'était ma dernière foisà Michelin, devant mon public... Et je me suis senti aimé. Quelque part, c'était là ma réussite. Clermont, c'est chez moi. En arrivant ici il y a neuf ans, je ne pensais pas rester aussi longtemps. Surtout, je ne le regrette pas. Le rugby a changé, ses valeurs ont évolué : c'est désormais rare de rester aussi longtemps dans un même club. Mais je suis chez moi. Cette ville m'a fait joueur, elle m'a aussi faite homme. Dire ce qui fut le plus important, j'en suis incapable. Je n'ai pas le recul. Le fait d'avoir joué en équipe de France ? C'est trop tôt pour en être sur. Ce que j'ai vécu ici, restera en loi tout ma vie, c'est l'homme que je suis aujourd'hui."
Français un jour, Français toujours ? Dans son identité sûrement. Pour le reste, le centre s'est esquivé dans l'hémisphère sud. Il va se reconvertir dans le monde du fitnesse en Nouvelle-Zélande après avoir bouclé une formation en Espagne cet été. Par la suite, il pourrait basculer entraîneur. "Pour transmettre quelque chose". Là, il fait juste ce qu'il a à faire. "Cétait le moment d'arrêter. Ce n'est facile parce qu'il faut s'adapter à une nouvelle vie : cela pourrait prendre un an. D'autres choses m'attendent. Mais je n'ai pas peur". Tony Marsh manque au Top 14 et ne l'ignore pas : il a reçu le prix Emotion lors de la dernière nuit du rugby de LNR. Mais le plus bel hommage vient aussi Clermont, second du Top 14 qui prolonge ce qu'il a contribué à construire.
Rugbyrama - Grégory LETORT