De 1971 à 1984, Agen, Tarbes, Narbonne et Béziers trustent les Bouclier de Brennus et le Challenge du Manoir. En 2008, ces quatre équipes végètent en queue de classement de la PRO D2. Pour Francis Deltéral et Richard Escot, grands reporters et écrivains, ce n'est pas totalement une coïncidence...
A Agen (12e), Tarbes (13e), Narbonne (14e) et Béziers, avant-dernier on a hâte que la roue tourne : dix titres et deux du Manoir pour Béziers ; 1 Brennus, 5 du Manoir et un Lion d’ovalie pour Narbonne ; 2 Boucliers et 2 victoires à Colombes pour Agen ; 1 victoire en championnat pour Tarbes…toute l’histoire de l’ovalie. Entre 1971 et 1984, ces quatre équipes forment un trapèze magique dans l’hexagone rugbystique. Une flopée d’internationaux, des écoles de jeu différentes, une tradition de combat, d’envolées, de mêlées et de passes vrillées que chacun croit éternels. « C’est peut-être ça le problème », explique Francis Deltéral "spécialiste" rugby sur Canal Plus. « Ces équipes se sont reposées sur leurs lauriers. Elles n’ont pas su voir que le rugby demandait une autre approche et j’ai bien peur qu’elle végètent encore un moment ».
« Je ne pense pas que ce soit une coïncidence », ajoute t-il. « C’est une coïncidence d’un point de vue sportif, mais c’est en fait un évènement qui nous raconte l’évolution du rugby », précise Richard Escot journaliste et écrivain*. « Leur avènement au plus haut-niveau correspond à une période où les bassins économiques de ces régions étaient riches, ajoute t-il. Si on peut se demander comment Agen a eu un tel palmarès coincée entre les économies de Bordeaux et Toulouse, pour Béziers et Narbonne, l’absence d’une nouvelle donne économique au milieu des années 80 a transformé le visage de ces clubs. Quant à Tarbes, elle se situe dans une région rugbystiquement sinistrée : Bagnère, Lourdes ou même Pau n’ont plus l’aura d’antan. » Francis Deltéral abonde dans le même sens : « Ces clubs s’étaient-ils préparés aux transformations du rugby ? Mon avis est qu’il a manqué un travail de fond et une remise en cause. Ces clubs ont trop pensé que les jeunes locaux viendraient naturellement à eux. »
En 1988, les joueurs de Tarbes tiennent un stand de sandwichs et boissons
Le passage de l’amateurisme marron au professionnel a ainsi été mal négocié par les quatre formations phares des années 1971-1984 et 25 après, les retombées sportives se font ressentir. Pour Richard Escot, « attention ». « Il ne faut pas se leurrer non plus, on parle d’une autre époque. Quand Tarbes va en finale en 1988, les joueurs ont tenu un stand de sandwichs et boissons quelques jours plus tôt à la foire expo de Tarbes » ; « Le public à Narbonne était peu nombreux », précise, lui, Deltéral. Et quand on leur demande à quand remonte le virage mal négocié, chacun est d’accord pour reconnaître un évènement majeur : « L’avènement du Stade Toulousain ».
Richard Escot va même plus loin : « Quel club a réussi le passage au professionnalisme ? Toulouse qui fonctionne ainsi depuis 25 ans ? Paris qui doit son renouveau à un mécène ? Clermont grâce à Michelin ? Biarritz qui a la chance de pouvoir compter sur messieurs Blanco et Kampf ? En fait, seul Perpignan a travaillé pour devenir professionnelle…ni Agen, ni Tarbes n’ont réussi ; Narbonne et Béziers n’ont pas reçu assez de soutiens ». Francis Deltéral : « Agen a la chance d’avoir Alain Tingaud mais il n’est pas dit que M. Nicollin continue avec Béziers. Et à Narbonne M. de Pouzilhac n’est finalement pas venu. A Pau ou Tarbes, aucun mécène…s’il n’y a pas Affelou à Bayonne, de Richebourg à Brive ou Pepsi à Perpignan, ces clubs peuvent connaître la même méforme». « Dans le rugby britannique c’est pareil : si Peter Thomas n’investit pas à Cardiff poussé par son ami Gareth thomas, il n’y a plus de rugby au Pays de Galles ; si les Saracens ou Newcastle n’ont pas un milliardaire derrière eux, ils ne connaissent pas le succès actuel ».
En 2008, Agen, Tarbes, Narbonne et Béziers ont quitté le top des classements pour la lutte au maintien en deuxième division professionnelle. En 25 ans, le rugby a radicalement changé. Sur le pré où pour Francis Deltéral « le jeu appartient de plus en plus aux schémas tactiques plutôt qu’à l’inventivité des joueurs », mais aussi en dehors. « Lourdes a inventé le rugby français ; c’était inconcevable que ce club n’apporte plus sa pierre au jeu. Et pourtant…le Racing, club de bourgeois parisiens s’est associé à son opposé, le Métro, club de cheminots. La PRO D2 aujourd’hui est une compétition très riche mais dans les clubs la question est: comment fédérer ? », estime Richard Escot. « Le sport n’est pas différent de la vie. La mer a ses marées, la vie connaît des hauts et bas donc pourquoi le rugby échapperait à des cycles lui aussi ?», conclut-il.
*Richard Escot a récemment publié: Les Oblongues (Atlantica), Le Dico du rugby (La Martinière Jeunesse), Jour de gloire (Philippe Rey)
LNR.fr - par Nicolas LAVALLEE
Voilà un des rares article de fond , recemment sorti sur le rugby PRO !