L’arrivée massive de joueurs du Super 14 laisse planer des risques financiers et sportifs sur les clubs du Top 14 et l’équipe de France. Autant de sources d’inquiétude pour le président de la LNR Serge Blanco.
Un Top 14 attractif
Le profil type de l’expatrié a de quoi plaire : souvent international, expérimenté, immédiatement compétitif et pas cher. Ce dernier point est d’ailleurs un argument essentiel. A valeur égale, un deuxième ligne sud-africain de Currie Cup, le championnat sud-africain, qui émarge seulement à 3000 euros par mois, peut espérer 50% à 100% de plus en France. Concernant les internationaux de l’hémisphère Sud, le rythme des calendriers et la contrainte de longs déplacements poussent dorénavant les joueurs à chercher une autre façon d’exercer leur métier de rugbyman. Autre raison, plus conjoncturelle, le projet de quotas chez les Springboks incite les internationaux à monnayer leur talent hors de chez eux.
Pour les accueillir, les pensionnaires du Top 14 et de Pro D2 ne sont pas en rade. En pleine expansion financière, ils affichent des ressources insoupçonnées. Du coup, beaucoup se lancent dans une surenchère de stars. Dernier exemple en date, le Sud-Africain Bobby Skinstad est annoncé avec insistance du côté de Perpignan à 15 000 euros. Mais cette invasion du Super 14 trouve aussi une résonance sportive. La concentration des internationaux dans deux ou trois clubs (Stade Français, Toulouse, Biarritz), les cadences infernales, la multiplication des doublons Tournoi–Championnat, cinq au total la saison prochaine, le niveau de la Coupe d’Europe et du Top 14 poussent toutes les équipes à se renforcer. C’est le cas de Clermont et de Perpignan qui préfèrent miser sur un joueur étranger expérimenté qui a déjà fait ses preuves qu’un Français malheureusement plus cher. Si on ajoute un cadre de vie agréable, sans parler du dépaysement culturel recherché par ces joueurs, on comprend mieux pourquoi le Top 14 attire.
« Montrer patte blanche financièrement » pour Blanco
Cette frénésie n’est pas sans risque. Financier d’abord : « la LNR est train de tirer le signal d’alarme car on ne peut pas faire n’importe quoi », dit Blanco. Du coup, le président de la LNR se montre inflexible : « on ne peut pas laisser faire un président parce que d’abord il faut montrer patte blanche financièrement et demain si les salaires ne passent pas devant la DNACG (ndlr : direction nationale d’aide et de contrôle de gestion), les joueurs ne seront pas dans le championnat. » La hausse des salaires est beaucoup trop rapide au regard des recettes, d’où un risque accru de déficit. Les chiffres annoncés à propos des émoluments du Néo-Zélandais Kelleher à Toulouse, plus de 300 000 euros, ou du Sud-Africain Matfield à Toulon laissent perplexes.
Le danger sportif est tout aussi bien réel. Henry Broncan a été le premier à stigmatiser le problème de la langue à Agen où cohabitaient français et étrangers, notamment au moment des annonces en touche. Faire signer des joueurs étrangers, mêmes internationaux, n’est pas un gage de réussite. Un, il faut qu’il s’intègre et assimile le jeu et l’arbitrage français. Deux, les joueurs n’étant plus sélectionnables n’ont plus forcément la même détermination sur le terrain. Les Saracens où ont évolué Tim Horan, Taine Tandell et bientôt Chris Jack, peuvent en témoigner : aucun titre gagné.
Et l’équipe de France ?
L’accroissement du nombre d’étrangers laisse augurer des pénuries de pilier ou de deuxième ligne. Pour Blanco, ce n’est pas si sûr : « cela ne change rien au niveau de l’équipe de France. Il y a des centres de formation au niveau des clubs. La fédération a ses pôles d’action et tout ce qui s’en suit. Les très, très bons jeunes ne passent pas à côté. » Avant de concéder que le seul problème est que « les jeunes trouvent leur place pour jouer chez nous ». A Toulon, la direction a fait ce pari en faisant profiter aux espoirs toulonnais l’expérience et le rugby de Gregan, Merthens et Matfield. Néanmoins, on peut en douter. Certains clubs du Top 14 estiment prendre moins de risques avec un pilier argentin de 20 ans qu’un pilier français de 21 ans ou encore un ouvreur sud-africain international que des espoirs. Tout n’est pas noir. Comme pour Jean-Baptiste Ellisalde à propos de la venue de Kelleher : « je suis intimement persuadé que je vais encore apprendre à son contact. Cela va peut-être me pousser encore plus haut. »
Mais, « à un moment donné il faut réguler le marché et l’afflux d’étrangers » conclut Blanco. Or, les solutions sont minces « parce que les lois européennes et la loi française sont très complexes ». Le projet de limiter le nombre d’étrangers, par exemple, est de l’ordre de l’utopie : « si on dit que l’on va limiter, on va m’attaquer de partout, pas uniquement rugbystiquement, mais surtout politiquement. » En attendant, pour la première fois en France, une équipe pourrait bien entamer sa saison sans aucun joueur français dans son quinze de départ.
Mathieu BARATAS - Le site Rugby